Un visiteur.

Le cavalier tira sur les rênes afin de ralentir sa monture. Il se redressa sur celle-ci fièrement et la guida de par l’allée menant au manoir. Le soleil jouait entre les branches des nombreux arbres qui longeaient le chemin et l’homme se surprit à observer ce jeu de lumière. Il ramena son regard sur l’horizon où s’élevait l’imposante maison des seigneurs. Encore quelques trots de son fidèle compagnon de route et il serait aux portes d’une nouvelle vie.

Le portail était ouvert et Savaric del Borg ignorait si cela était une chose coutumière ou incongrue. Il passa la porte et le mur neuf qui séparait les prés luxuriants des terrains privés du manoir. Il avança jusqu’à la porte où de manière élégante, il descendit de son cheval. Sa main gantée de noir tâta la poche intérieur de son manteau pour en extirper quelques plis destinés aux seigneurs du lieu. Il fit tomber, d’une tape brusque, la poussière accrochées aux fibres de son vêtements. L’œil vif d’un homme assuré et le pas alerte, il monta les paliers de pierres menant à la porte principales. Sans craintes ni hésitations, Savaric cogna trois coups vigoureux sur l’huis massif et attendit.

Élysabethe Auteuil de BlueLake sursauta et se retourna prestement au son des coups que l'on donnaient à la porte. Elle attendit quelques instants afin de laisser la domestique le soin de répondre. Elle se souvint avoir demandé à celle-ci d’exécuter plusieurs tâches en vue de la réception prochaine qu’elle donnait. Juliette devait être fort occupé et probablement à l’autre extrémité de la maison. Élysabethe déposa les feuillets qu’elle parcouraient sur la table de travail, traversa le couloir et ouvrit la lourde porte.

Un homme de grande taille se tenait sur le parvis. Il était vêtu de vêtements sombres et impeccablement coupés. Ceux-ci dénotaient un goût de sobriété et un état honorable. L’homme était doté d’un air de distinction qui fit penser à Élysabethe qu’il devait sans doute être important. À la vue de la femme, il s’inclina légèrement.

Bonjour Messire, à qui ai-je l'honneur ?

Quelques minutes passèrent et Savaric les combla en regardant les environs. L’endroit était calme et bien entretenu. Les alentours du manoir avaient été aménagés avec soin, gardant la nature luxuriante envahir les lieux de sa beauté simple mais en y gardant un certain contrôle. Il y avait un état d’ordre et de propreté qui plut immédiatement au visiteur habitué aux structures nettes. Il aimait la clarté, la minutie et l’organisation. Un simple coup d’œil à sa physionomie le démontrait. Ses traits étaient francs comme s’ils voulaient afficher l’essence que cet homme portait. Même ses ridules, creusées par les années, le soleil et les fatigues, s’étaient formés en plis ordonnés.

L’homme entendit un claquement se faire derrière la porte massive, celle-ci céda sous la poussée de la femme qui se présenta devant lui. Elle avait une allure digne dans sa houppelande aux tissages carmins et sa chevelure blonde s’étalait sur ses épaules tel un châle d’or. Savaric se retint de la dévisager, ne sachant pas encore à qui il s’adressait mais comprenant, d’après sa tenue, qu’il ne s’agissait pas d’une simple domestique. Le visiteur baissa les yeux et s’inclina légèrement.

Bonjorn Dòna, je me nomme Savaric del Borg. Je désire rencontrer les maîtres du manoir afin de leur remettre quelques plis fort importants.

Savaric attendit la réponse de la Dame tout en scrutant le bout de ses chausses où il remarqua quelque boue séchée, ce qui le contrariait hautement…

Élysabethe tendit la main à l'homme, tandis que celui-ci restait prostré devant elle.

Je suis Élysabethe Auteuil de BlueLake. Si cela vous convient, vous pouvez me confier vos missives. Je suis la maîtresse de la maison... Euh...la Dame de la Lanne....

La femme sourit à ce titre. Elle ne s'habituait guère de se nommer ainsi. Elle regarda les lettres que l'homme gardait serrées entre sa poitrine et sa main gantée. Elle se demanda de quoi il s'agissait. S'il voulait bien les lui confier, elle le saurait bientôt.

Avançant de nouveau la main vers les plis, elle dis: Puis-je messire ?

Savaric del Borg leva la tête et croisa furtivement le regard de la maîtresse du domaine. Cette femme semblait fière et sûr d’elle, la tête haute et l’œil franc. Il se sentit soudainement un peu fébrile de la rencontrer ainsi, accomplissant les tâches d’une domestique. Dominant sa nervosité, il saisit les lettres entre son index et son pouce et les tendit délicatement à Dame Élysabethe. Quand cela fut fait, il s’inclina de nouveau.

Dòna, mes respièch ! Ces lettres sont infiniement précieuses. Elles me réfèrent à vous par quelques distingués protecteurs que j’ai eu l’honneur de servir.

Les mains de la Dame entreprirent de décacheter les billets en décollant les sceaux et de déplier les feuillets. Savaric leva la tête pour l’observer pendant qu’elle parcourait la correspondance. Il était largement plus grand qu’elle et la stature de l’homme était amplifiée par son maintien irréprochablement droit. Son visage dénotait un calme doublé d’une beauté surannée, marqué par des rides que l’âge et le travail avaient creusées. Quelques linons grisâtres se faufilaient dans sa chevelure noire méticuleusement nouée derrière sa tête. Ses yeux clairs étaient mobiles et découvraient un esprit vif dans ce corps sévère. Il ne bougea point, se concentrant sur les gestes gracieux de la Dame de la Lanne, puis sur son regard parcourant les feuillets, attendant la décision de celle-ci sur un envisageable embauche.

Élysabethe lut les lettres. Elle fut impressionné par les excellentes recommandations que les précédents employeurs de Messire Savaric avaient fournies. Elle relut une seconde fois la dernière lettre et leva les yeux sur le visage de l’homme.

Je constate que votre vie à été vouée à la fidélité et au service d’autrui. Vos références m’impressionnent, Messire del Borg, elles me disent que du bien de votre personne et de votre travail. Vous n’êtes pas sans douter que cela augure bien pour que vous entriez à notre service.

La femme sourit et fit un geste de la main signifiant au visiteur d’entrer.

Ne restez point sur le parvis… si j’en crois vos recommandations, vous postulez au titre d’intendant du domaine… Ai-je raison ?

Savaric passa la porte et s’arrêta après avoir fait quelques pas dans le hall d’entrée. D’un signe de tête, il acquiesça à la dernière question d’Élysabethe.

Désirez-vous vous asseoir après ce voyage ? J’aimerais que vous me parliez davantage de vous, votre travail et ce qui vous pousse à venir offrir vos services chez nous.

Les lèvres de Savaric formèrent un léger sourire et il s’avança dans le hall. L’endroit était clair. Un des murs de pierres avait été recouvert par une tapisserie finement brodée. L’entrée du manoir dénotait un bon goût alliant la sobriété. L’homme jeta un coup d’œil au fauteuil que la Dame lui proposait et déclina son offre de s’y asseoir d’un hochement de tête.

Tout en écoutant ce que la Dame de la Lanne lui disaient à propos de ses références, il se déganta avec lenteur. Ses mains étaient épaisses et l’on pouvait apercevoir à son annulaire droit une bague d’étain sertit d’un émaux rougeâtre. Il glissa ses gants dans l’une de des poches de son manteau et se tint droit devant Élysabethe.

Vous avez vu juste, Dòna, je postule pour le poste d’intendant. Je crois en être capable et tout à fait qualifié pour le faire.

Del Borg leva la tête fièrement et plaça ses bras le long de son corps. Il regarda son interlocutrice de manière à ne jamais quitter son visage du regard sans toutefois la dévisager impudemment.

Je suis Gascon de naissance et ma famille était à l’emploi d‘un important seigneur des environs de Dax. Nous fument envoyés au service de celui-ci dans son castel d’été en Espagne alors que j’étais encore un nenet. C’est là-bas que j’ai appris à peu près toutes les tâches inhérentes à la gestion d’un domaine. À l’âge adulte, j’ai quitté l’Espagne pour revenir en France et être au service de d’autres seigneurs, ceux dont vous avez eu la correspondance. Je suis venu chez vous car cette seigneurie est jeune et je me suis permis de croire que tout était à faire… J’ai espoir de me bâtir une vie chez vous en devenant votre intendant. Je me sais audacieux en vous parlant ainsi, comme si l’intendance m’était déjà attribué… La route qui m’a amenée jusqu’ici m’a fait voir des terres et un domaine bellissime où j’aimerais vivre et contribué à son foisonnement.

Savaric se tut soudainement car il avait tout dit. Le jour où il avait monter et conduit son destrier vers la seigneurie de la Lanne, il avait su qu’une nouvelle vie l’attendait. Celle-ci se jouait maintenant et il n’en tenait qu’à cette femme devant lui de lui dire comment cette vie allait tourner.

Élysabethe avait écouté Messire Savaric avec intérêt. Il semblait fortement intéressé par le poste et, selon ses références, étaient amplement qualifié pour l’accomplir. Elle glissa les lettres dans sa poche et croisa ses mains sur la jupe de sa houppelande.

Messire, vous n’êtes pas sans vous douter que nous désirons un intendants qui a toute notre confiance car l’intérêt de toute la seigneurie sera entre ses mains. Je crois que la chose la plus sage que nous devons faire est de se connaître et d’apprécier votre travail pour pouvoir juger de vos capacités à gérer notre maison. Je vous propose de vous installer sur le champs et de vous mettre au travail.

La femme observa le visage anguleux de l’intendant en souriant.

Mon époux arrive ce soir d’un long périple. Une petite réception est donnée et j’ai grandement besoin de votre aide pour recevoir les invités et voir à ce que leurs montures et attelages soient amenés aux écuries…Nous n’avons point encore d’écuyer… Pouvez-vous vous acquitter de cette tâche dans un délai si prompt ? Je vous amène à vos quartiers où vous rencontrerez notre servante et notre maître-queux.

Élysabethe marqua une pause et invita Savaric à la suivre d’un signe de main.

Quand mon époux sera icilieu et qu’il sera remit de son voyage, il vous rencontrera et nous pourrons discuter ensemble de la vision de votre poste. Peut-être que votre entrée en ce domaine est le début d’une longue association entre vous et la famille de BlueLake. Qui sait ?

Savaric s'inclina devant la Dame. Il était visiblement enchanté d'avoir une chance de lui prouver qu'il était fait pour ce poste.

Dòna, je vous assure que vous ne serez point déçue de votre humble serviteur. Je ferai tout ce qu'il m'est possible pour que ce domaine soit l'un des mieux tenus et des plus réputés du territoire.

L'homme s'inclina respectueusement devant Dame Élysabethe de BlueLake. Il se redressa et détacha son manteau en le faisant glisser sur l'un de ses bras.

Pouvez-vous m'indiquer mon lieu de repos ? J'aimerai y déposer les sacoches contenant mes quelques bagages et y faire un peu de toilette avant de prendre mon poste pour votre réception. Je puis commencer immédiatement.

Savaric del Borg entrait au service des BlueLake en cette fin d'après-midi d'automne quelques heures à peine avant l'arrivée du seigneur en son domaine.